Avez-vous remarqué les médias et le gouvernement qui ne cessent de crier à la disparition imminente du français au Québec? Personnellement, ce ton actuel, la façon de brandir la menace pour créer un climat de peur me dérange. Je me suis dit qu’on pourrait essayer ensemble de mieux comprendre ce dont il est question avec « le déclin du français » et peut-être nuancer un peu le discours.
Essayons de comprendre ce que signifie le fameux « déclin » :
Déclin de la qualité de la langue parlée?
Dans sa pub du faucon « vraiment sick » de mars 2023, qui a beaucoup fait jaser, le gouvernement du Québec nous met en garde contre les dangers de l’anglicisation.
Sauf qu’il faut vraiment ne rien comprendre au concept des registres de langue pour arriver à une publicité comme celle-là!
Je vous en ai parlé souvent, on ne s’exprime pas de la même manière quand on est « ben chill pis qu’on niaise avec nos chums (nos amis) » et « lorsque nous nous trouvons dans un contexte qui requiert l’usage d’une langue plus soignée, comme une entrevue d’embauche ou une conférence universitaire ».
Au Québec, c’est vrai qu’on utilise énormément d’anglicismes dans le registre informel (si vous voulez une preuve, j’ai fait une petite expérience sur les anglicismes France vs Québec), mais la tendance est de les éviter soigneusement dans des situations plus formelles et dans le registre de langue neutre : ils sont mal vus. Personnellement, je trouve qu’insinuer que les anglicismes menacent la langue des documentaires et des bulletins de nouvelles, c’est vraiment prendre le monde pour des caves!
Déclin de la qualité de l’écrit?
« Avec l’Internet pis les textos, le monde sait pu écrire! Dans mon temps, on faisait ben moins d’fautes » Ah oui?
Pourtant quand on demande à France Martineau, linguiste qui a étudié des milliers de correspondances écrites entre les 18e et 20e siècles, si la qualité de l’écrit diminue, voici ce qu’elle répond :
« Lorsqu’on regarde les usages dans les lettres familiales […], on se rend compte que le français qui est écrit à cette époque-là n’est pas si différent du point de vue de l’orthographe. Les erreurs sont en fait les mêmes, parce que l’orthographe française, elle est compliquée et c’est finalement, toujours les mêmes erreurs que l’on fait, que l’on reproduit. » Autre mythe qu’on vient de faire sauter!
Diminution du nombre de personnes qui parlent français au Québec?
Dans un article publié en nov. 2022, Calvin Veltman, un sociolinguiste et prof retraité de l’UQAM, analyse les chiffres du dernier recensement de Statistiques Canada (2021).
En termes absolus, le nombre de francophones augmente. Ce n’est donc pas ça qui est qualifié de déclin.
Déclin de la francisation des immigrants?
Non plus!
Si l’on se fie à ce graphique paru dans Le Devoir, on voit clairement depuis 1971 une augmentation de la francisation des immigrants, surtout grâce à la Loi 101, qui, on le rappelle, oblige immigrants comme Québécois à envoyer leurs enfants à l’école en français, sauf exceptions.
Selon Jean-Pierre Corbeil, spécialiste en démolinguistique, qui étudie la répartition des langues dans une région donnée, « [a]lors que la moitié des immigrants parlent plus d’une langue à la maison, c’est aujourd’hui 90 % des immigrants qui fréquentent l’école en français. Il y a donc une contribution réelle des allophones à l’espace francophone. »
Continuons d’insister sur la francisation et faisons en sorte que les gens qui choisissent de venir vivre ici savent qu’ils immigrent dans une société francophone. Il faut bien sûr avoir les ressources suffisantes pour offrir les cours de francisation et bien les accueillir. Mais somme toute, les immigrants sont les alliés du français, par des ennemis, contrairement à ce que certains semblent croire!
Alors, ce fameux déclin, c’est quoi?
Déclin du poids démographique des francophones
Le déclin ferait en fait référence au poids démographique des francophones au Québec, qui est effectivement en baisse depuis 2001.
Autrement dit, les francophones représentent un pourcentage de la population qui baisse lentement depuis une vingtaine d’années. (Ne pas oublier le biais statistique qui favorise l’anglais!)
En 2001, les francophones représentaient 88,6% de la population totale du Québec, comparativement à 86,8% en 2021, soit une baisse de 1,8%.
Mais qu’est-ce qu’on entend au juste par « francophone »? Personne qui a le français comme langue maternelle? Qui parle seulement français à la maison? Ou encore qui est capable de soutenir une conversation en français? Est-ce que chaque répondant du recensement a la même définition du mot en cochant la petite case?
C’est sûr que si les Québécois, comme les Canadiens en général, ne se reproduisent pas assez et que la croissance de la population repose presque essentiellement sur l’immigration, le poids démographique des « québécois francophones pure laine de souche » diminue. Est-ce que ça veut nécessairement dire qu’on s’en va dans le mur? Qu’on va disparaître et être assimilés à l’anglais ou aux langues maternelles des immigrants d’ici quelques années? Bien non!
C’est pourtant ce que croit, Charles Castonguay, statisticien et prof de math à l’UOttawa. Il conclut son ouvrage Le français en chute libre avec la phrase : « En définitive, le caractère français de la société québécoise n’est plus assuré. »
Personnellement, j’accroche à certains aspects de ses analyses :
1er problème : lui aussi parle beaucoup de la langue en usage à la maison. Pourquoi ce chiffre n’est pas pertinent, qu’on parle des personnes issues de l’immigration comme des natifs? Une famille venant d’un autre pays peut très bien garder à la maison sa langue maternelle et être tout à fait fonctionnelle en français pour la vie communautaire et le travail.
Une famille anglophone peut décider d’élever ses enfants en anglais à la maison, mais les envoyer à la garderie et à l’école en français. Quelle chance merveilleuse pour ces petits « parfaits bilingues », comme on les appelle. J’en connais plusieurs qui fonctionnent comme ça.
Pour moi, la langue parlée à la maison n’a pas de lien direct avec la capacité de vivre sa vie communautaire en français. Mon chum me parle en portugais tous les jours, je lui réponds souvent dans sa langue. Pourtant, il travaille et interagit en français dans sa vie quotidienne.
Insinuer que c’est à cause des immigrant que le français recul me semble une belle porte d’entrée pour des raisonnements douteux et une cause à la xénophobie, comme le montre cette publication :
Le vrai problème, ce serait l’anglicisation des francophones à Montréal. Parce que l’assimilation des allophones en fr, elle, a augmenté de 45,7% en 2006 à 55,2% en 2011.
Et dans un article publié au Devoir, le démolinguiste Jean-Pierre Corbeil abonde dans le même sens : « Sur l’usage de l’anglais au travail, il souligne d’ailleurs que les trois quarts des jeunes diplômés qui travaillent principalement en anglais sont issus des cégeps et des universités de langue française. La population de langue maternelle française a en effet vu l’usage de l’anglais s’accroître au travail, selon les données du dernier recensement. Contrairement aux immigrants, pour qui l’usage du français a augmenté dans ce même contexte, entre 2006 et 2021. »
Mais dans cet autre article de l’Actualité, il nuance en expliquant que « [l]e Québec représente 40 % des exportations canadiennes de services. En soi, c’est un succès, mais ça fait que l’anglais va forcément être davantage exigé comme critère d’embauche. Et effectivement, les statistiques montrent que moins de gens travaillent uniquement en français. Mais moins de gens travaillent uniquement en anglais aussi. Et c’est peut-être normal dans le contexte d’un Québec qui est une locomotive dans l’exportation de services au Canada. »
Quelques pistes de solution pour contrer le déclin du français
OK. On constate un déclin du poids démographique des francophones de langue maternelle (et encore… ça reste flou) au Québec. C’est facilement explicable par l’accueil de milliers de personnes allophones. Qu’est-ce qu’on fait maintenant pour rester vigilant et s’assurer de protéger la langue française dans l’espace public québécois?
Premièrement, il faudrait modifier l’approche et présenter la langue française comme une richesse culturelle et identitaire au lieu de faire peur aux gens et de créer plus de xénophobie.
Il faudrait arrêter de penser que les personnes immigrantes viennent ici et s’enferment dans leur communauté culturelle ou choisissent systématiquement d’apprendre l’anglais. Je sais qu’il y a certaines personnes qui adoptent cette attitude, mais ce n’est pas représentatif de la majorité.
Il faudrait arrêter aussi de leur faire sentir qu’ils ne sont pas 100% québécois parce qu’ils ne sont pas nés ici ou qu’ils ont un accent différent.
Misons donc sur notre unicité francophone dans la mer d’anglo nord-américains, faire rayonner notre culture, nos auteurs, nos cinéastes, nos musiciens et créateurs en tous genres.
Il faudrait insister sur le fait que la langue publique, des services et du travail, c’est le français, en continuant d’adapter et d’ajuster le cadre légal et juridique pour soutenir cette affirmation.
Il faudrait probablement revoir l’approche de collecte des données, les fameuses questions sur les langues dans le recensement. Pourquoi ne pas justement faire appel à des spécialiste de la démographie linguistique afin de formuler un questionnaire qui tienne compte des informations plus pertinentes que la langue parlée dans le foyer de chaque famille!
Et finalement, si on arrêtait de dire aux francophones du Québec et du Canada qu’ils parlent une langue bâtarde et dégénérée, si on embrassait nos particularités et notre façon à nous d’être francophones, les gens se sentiraient plus légitimes dans leur « francitude » et la célébreraient davantage?
Moi, je suis optimiste pour la pérennité du français au Québec et je remercie toutes les personnes venues d’ailleurs qui viennent enrichir notre société et qui comprenne l’importance d’adopter la langue commune et les valeurs des Québécois.