Combien de fois ai-je entendu ce genre de condamnation au sujet de « ça l’a », cette liaison « inventée », qui ne respecte pas la norme du français, mais qui est extrêmement courante en langue informelle ici au Québec?
Mais vous me connaissez : avec mon approche linguistique, moi, je cherche à observer la langue plutôt qu’à la juger. Alors aujourd’hui, on va essayer ensemble de comprendre d’où vient le L dans « ça l’a ».
Pourquoi les Québécois disent « ça l’a » au lieu de « ça a »?
Un des traits caractéristiques de la langue française, c’est qu’on cherche à éviter les hiatus : la rencontre de deux voyelles entre les mots.
C’est pour cette raison qu’en français, on ne peut pas dire « je aime prendre la auto ». On doit faire la contraction « j’aime prendre l’auto ».
Et c’est aussi pour ça qu’on prononce « les abeilles arrivent » [lè Zabè Yariv], en faisant la liaison entre les mots.
Ne cherchez plus loin, la voilà la raison qui pousse les Québécois à ajouter un L entre « ça » et le mot suivant quand il commence par une voyelle!
Pourquoi une liaison en L dans « ça l’a »?
Selon les linguistes du Français au Québec et en Amérique du Nord, c’est par analogie au pronom « elle ».
Hein?
Je vous explique ça!
Vous souvenez-vous comment on prononce « elle » en québécois familier? Si le mot suivant commence par une consonne, le « elle » devient simplement « a’ ».
- Elle veut = A’ veut
- Elle pense qu’elle (ne) viendra pas = A’ pense qu’a’ viendra pas.
Mais si le mot suivant commence par une voyelle, on garde le L pour la liaison :
- Elle arrive toujours en retard = Alle arrive toujours en retard.
- Elle insiste : elle (n’)habitera pas toute seule = Alle insiste : alle habitera pas tu seule!
Puisqu’après le A de « elle », on entend une liaison en L, c’est ce son fréquent que les Québécois cherchent à reproduire!
Ça va t’être / Ça va-t-être
Cette liaison qui ne respecte pas non plus la norme du français est perçue encore moins favorablement. Mais cette fois, d’où vient le T qu’on ajoute pour éviter la rencontre du A et du E dans « ça va être »?
Il s’agit ici d’une généralisation des finales de la 3e personne, qui sont probablement les plus courantes (il, elle, on, ils, elles).
- Peut-être
- On est allés
- C’est important
- Il est ici
- Elle est encore jeune.
- Ils/Elles sont arrivés
Et cette généralisation du T n’existe pas seulement au Québec. On n’a qu’à fouiller un peu dans les chansons traditionnelles françaises pour trouver plein d’exemples :
- Marlbrough s’en va-t-en guerre
- Ma mère m’envoie-t-au marché
Vous vous intéressez à l’histoire de la langue française? Ne manquez pas cette capsule sur La petite histoire de la négation!